23 Janvier 2022
La vie foudroyée In memoriam Bernard Mazo
Tu avais deux paires de lunettes souvent,
l’une sur le nez et l’autre sur le front,
pour ne jamais perdre de vue
ni la beauté désespérée du monde
ni le versant secret et la part sombre
que le poème retient dans ses filets.
Ton salut avait la voix chantante,
et toi le sourire à la proue, un bon mot
pour réchauffer un court instant
le reflet glacé des jours en cendre.
Et tu posais la main sur l’épaule d’un ami,
cet autre qu’on écoute en fouillant
dans les greniers de nos mémoires
les odeurs fugitives et les fragiles images
qui nous font des promesses d’éternité.
Oui, penché sur ta table de travail
dans l’obscure rumeur du temps,
tenant la dragée haute à la camarde,
tu auras pris la parole
au nom de tout ce qui ne veut pas mourir
pour chanter le regret
de cette vie qui nous appartient si peu,
alors que ta mélancolie devinait déjà
dans le froid mortel de l’exil,
ce chapeau resté sur la table
qui un jour à son tour
nous parlerait tellement de toi.
Michel Baglin
in Un présent qui s’absente (Bruno Doucey éd., 2013)
L’espoir est une veilleuse fragile
Sur cette terre vouée au désastre
Nous tenons nous résistons
Nous nous arc-boutons
Contre vents et marées
Défiant le soleil des armes
Son éclat meurtrier.
Car il faut persister persister sans fin
Dans l’âpreté des jours
Comme si l’on ne devait jamais mourir…
Dans ce poème ce n’est pas moi qui vous parle,
Dans ce poème ce n’est pas ma voix que vous entendez
Mais ce qui me traverse et me maintient :
L’ombre désespérée de la beauté
Cet espoir infini au cœur des hommes.
Car dans nos mains qui tremblent
Cette petite lueur d’Espoir,
Est une veilleuse fragile
Au cœur de la nuit carnassière.
Bernard Mazo
in La vie foudroyée (Le dé bleu,2000)