5 Octobre 2022
Le vent
à Jackie
Il te croise ou te dépasse, mais jamais ne va à
ton pas : le vent n’est pas un compagnon de route.
*
Tantôt il te pousse, tantôt te freine, mais
toujours t’empêche de te pétrifier. Il interdit l’assise.
Le contentement de soi.
*
Lui qui nous vante et nous invente des plumes
d’aigle est un adepte du rebrousse-poil.
*
Il envoûte les nuages et sculpte l’invisible.
Réveille des vagues dans les conifères qu’il rend
fous.
Écoutons-le : il ose ce qu’on ne dit pas. Parle
parfois pour nous.
*
Il joue d’une batterie discrète dans les
haubans, puis passe aux grandes orgues dans les
branchages de l’hiver.
Il porte le chant.
*
Il fait sa lessive au bleu. Se lance dans
l’azurage de la lumière.
*
Lui qui joue les entremetteurs entre les arbres,
les graines et les fleurs, soulève la poussière et les
pollens, la suie et les parfums. Il s’offre à tous, mais
aussi à chacun.
*
Le vent arrache les dernières feuilles des
chênes, mortes depuis longtemps. Il balaie devant
nos portes et disperse les prudences fétides. Il
purifie.
*
Lui qui écharpe les arbres malades et nous
échevelle se glisse sous nos vêtements. Juste pour
nous forcer à croire que nous sommes vivants.
*
Il siffle dans les ramures et transporte plus
sûrement que nos pas vers ces fameux pays que l’on
désespère d’atteindre. Il est le messager des contrées
que l’on croit perdues.
*
Le vent souffle de l’enfance vers les grands
rêves de voyage. Son lyrisme est de haute mer et de
cimes, de terres brûlées et de banquises. Il est le
chantre des déserts comme des neiges éternelles et
des solitudes australes. Il ne raconte pas, il célèbre.
*
Ouragan ou tempête, il arrache du sol et
emporte pour mieux laisser retomber tous les élans
des êtres qu’il inspire. Les flots qui gonflent, les
portes qui battent, la pluie qui cingle et la voile qu’il
glorifie lui sont redevables de leur force de vérité.
Derrière ses hurlements, un grand silence se fait.
*
Quand le vent tombe, la mort alors se remet à
causer.
Michel Baglin, extrait de L’obscur vertige des vivants, Seilh, décembre 2015
Le souffle de ta voix à Michel
Attends,
attends encore un peu !
Sais-tu qu’en ce jour-là, soudain,
notre jardin a fait silence,
suspendus le vol tournoyant des milans,
les vocalises des merles,
les frémissements des frênes,
les tourbillons de poussières sur l’allée.
Sais-tu qu’en ce jour-là,
tout devint statues de sel
attente
souffle coupé.
Sais-tu qu’en ce jour-là,
lorsque la voix en blouse blanche au bout du fil se tut,
un soleil glacial de juillet est entré chez nous et m’a giflée.
Sais-tu qu’en ce jour-là
j’ai vu les cosmos, les volubilis s’incliner et chuchoter :
« le vent est tombé » !
Sais-tu que depuis ce jour-là,
ta voix chaude s’est faite souffle,
celui qui dégage le ciel d’hiver de ses nuages noirs,
balaie les feuilles à la morte saison,
fissure l’été de plomb d’une brise légère,
puis, mars venu, taquin, capture et décuple
le parfum joyeux du mimosa.
Jackie Bagin – poème inédit – avril 2022