Lien entre les amis du poète et écrivain Michel Baglin
12 Mai 2025
Il y a d’abord la couverture qui se proclame hardiment Atlas poétique des rivières et reproduit ce qui ressemble à une couleuvre d’eau qui se tortille et qui est en fait un bout de cadastre du cours de la Canche, dont j’apprends que ce joli nom dénomme un fleuve côtier d’un cours de cent kilomètres dans le département du Pas-de-Calais.
Il y a ensuite les photographies d’Isabelle Baudelet qui vit dans ces parages-là. En 18 clichés reproduits pleine page, Isabelle capture la beauté du cours d’eau en nous en offrant toute la palette des couleurs de la création dans leurs nuances les plus subtiles, jusqu’à nous en faire éprouver la musique et le mouvement. À fouiller ainsi l’intimité des eaux, elle nous révèle ce que nous avons souvent tendance à oublier : les merveilles sont autour de nous, il s’agit juste de les faire coïncider avec une présence plus aiguë au monde.
Il y a enfin les mots de Marilyse Leroux qui suit la Canche de sa source à l’océan. Ses mots retranscrits vert sur blanc nous entraînent au fil de ses scansions dans son beau voyage : « Les berges se courbent. Les herbes, les fleurs s’inventent de nouvelles couleurs, plus pures d’avoir été regardées. » Ce que l’on va lire est conte, poème, dérive, un peu de tout cela qui se nomme littérature, le tout emporté par la musique hypnotique des mots.
Canche est son nom
Lorsque le courant
mêle ses lettres
à la surface de l’eau
c’est son double
qui se lit
Alors elle l’emporte
à l’abri d’un seuil
pour que l’eau renaisse
d’être nommée
Sont convoqués la lune et les nuages, les cailloux et les herbes, la cohorte des cygnes, la brume. Car la Canche porte en elle tout un monde qu’elle recèle et reflète en personnage vivant qui a ses humeurs, sa douceur, ses rires, ses langueurs.
Nul doute qu’Isabelle et Marilyse se soient frottées l’une et l’autre à la « poétique de l’eau » chère à Bachelard. Chacune à sa façon nous fait partager son empathie pour la Canche amie : « À mesure que le courant l’emporte, elle devient ruisseau, rivière, fleuve , irriguant les terres alentour. Les arbres déploient leurs corolles en ombelles bleues, leurs ombres s’effilochent en nuages. Loin, toujours plus loin. » écrit Marilyse et en regard, une photo d’Isabelle capte le courant dans la luxuriance de ses reflets qui oscillent du blanc pur au mordoré et nous entraîne soudain au-delà du miroir.
Voilà manifestée d’éclatante façon, la revanche du modeste, de l’infime, de l’ignoré. Le fleuve Canche s’ouvre à la rêverie, voire à l’épopée selon ce que le lecteur voudra y ajouter. Pareil prodige est possible, puisque nous sommes en territoire de haute et vive poésie.
Jacques Ibanès
Jours de Canche Maison d’éditions de La Fabrique poétique 78 p. 18€ (imprimé à… Venise)