Lien entre les amis du poète et écrivain Michel Baglin
12 Avril 2025
Jean Pichet le Merveilleux
Je connais Jean Pichet depuis longtemps. Quoique « connaître » soit un bien grand mot. Nous nous sommes croisés ici ou là, depuis 40 ans, à l’occasion de lectures à Toulouse (à la Cave-Poésie grâce à Henri Heurtebise) et dans des revues où nos poèmes ont pu co-habiter. Nous nous sommes peu parlé – Jean Pichet n’est pas un bavard (moi non plus, je crois) et ne plastronne pas. Il marche à son pas, qui est discret (il n’a publié en tout que sept recueils pas très épais depuis 1984), mais quand on regarde bien – quand on se penche à la fenêtre de ses poèmes : il y a tout, et même plus que ça : la vie qui palpite, la vraie vie, celle qui ruisselle, presqu’invisible entre les instants perdus de nos jours.
Et cette discrétion de la personne-même de Jean Pichet va de pair avec la discrétion de son écriture : vers libres courts, le poème n’atteignant presque jamais le bas de page. Lexique de base assez commun (feuilles, oiseaux, silence, herbes, soleil, vent, etc.…), sa magie tient à l’angle qu’il adopte, la focale qu’il choisit.
Chez Jean Pichet il y a du Trakl, du Jean Follain – et il y a du Jean Pichet. C’est-à-dire des images comme celle-ci :
« La nuit est un diamant
qui ne dort jamais. » (poème Fête, p 29)
Dans ce dernier recueil intitulé « Ici infiniment » il s’agit comme toujours chez lui de débusquer le mystère de l’ici et maintenant : quoi et comment le plus simple et le plus banal, donc le plus « minuscule » (comme dirait Pierre Michon) contient l’infini, comment dans un instant « fugace » se délivre l’essentiel, c’est-à-dire le merveilleux : « une immensité à fleur de peau ». (p 17)
Il décrit (p 22) « Une vieille maison » manifestement abandonnée, et finit :
« Des branches rompues tombent
dans la cour et peuvent servir
pour un feu de cheminée
dont la fumée monte comme une fleur nouvelle ».
Jean Pichet n’est pas de ceux qui se « paient » de mots – non, on sent qu’il les a acquis de haute lutte et à la sueur (et la gomme) de son stylo. Ses poèmes ressemblent à des galets, lisses, doux – et chauds à l’intérieur. Ou à un arbre dont toutes les feuilles (tous les mots) tremblent juste.
Permettez-moi une dernière citation :
ROUTE (p. 23)
Dans le vent froid un oiseau
plonge ses ailes. Noires
comme ce froid.
Une seule chose m’intrigue : pourquoi (sur le rabat de présentation) tient-il à se définir comme un « poète de l’errance » ? -- Peut-être parce qu’habitant avec la poésie quotidiennement au plus près, a-t-il le sentiment que la poésie est elle-même – et aujourd’hui plus que jamais, me semble-t-il – cette « parole errante» dans le langage, ce murmure qui vagabonde comme il peut, et finit par se perdre merveilleusement au fond du brouhaha.
Casimir Prat
« Ici infiniment » Éditions Illador, 78p. 14€