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TEXTURE       Les amis de Michel Baglin

Lien entre les amis du poète et écrivain Michel Baglin

VICTOR SEGALEN PAR MARILYSE LEROUX

Le bureau de Segalen à Hesdin.

Le bureau de Segalen à Hesdin.

Partir de façon personnelle sur les traces d’un auteur que l’on aime, telle est l’ambition de cette nouvelle rubrique qu’inaugure à sa façon créative notre amie Marilyse.

Pour nous faire partager votre intérêt pour un auteur, merci de transmettre vos contributions à ibanesjacques@gmail.com

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Victor Segalen, à vrai dire je le connaissais peu jusqu’à ce qu’en 2023 je lise et relise Stèles, qui m’a fascinée. Le texte ci-dessous m’est venu un matin après avoir refermé le livre. Il s’agit d’une sorte de rêverie sur les idéogrammes anciens reproduits par le poète dans l’édition originale de 1912 et par la vision que j’ai eue de lui en Chine, de sa quête d’absolu, de sa remontée vers les origines.

En 2024, à la Maison natale de l’Abbé Prévost à Hesdin (acquise par son arrière-petite-fille Pauline Joly Groux), j’ai pu voir et toucher avec émotion le bureau incrusté de nacre du poète et sa statuette en jade qu’il emportait toujours avec lui. L’un et l’autre me l’ont rendu très proche.

Outre les œuvres de Victor Segalen et leurs différents cycles, on pourra lire avec bonheur le récit habité de Jean-Luc Coatalem consacré au poète « Mes pas vont ailleurs » ainsi que le point de vue original, cinématographique, de Stéphane Padovani « Victor Segalen, un rêve de film ».

*

Rêverie idéographique

Ils étaient là, devant moi, multiples singuliers. Les uns tendaient leurs bras à flanc de montagne, charge en équilibre contre la chute. D’autres soulevaient leurs manches au bord des précipices. D’autres, à lourde cuirasse, pointaient leur arme à bout de bras. Vers qui ? Sabres et fourches, crocs de lion, griffes d’oiseaux étaient du voyage. Empesés de givre ou de neige. Oraculaires sous leurs doubles paires d’yeux.

Ils étaient là, ancestraux, en habit de peu ou costume d’apparat, lourde robe ceinturée balayant le sol, éventail déployé, ou simples traînées d’os. Certains courbant le dos comme ils avaient appris. Tous énigmatiques, aux yeux de sphinx ou de bêtes oubliées.

Je les dévisageai un et un sous leur air de famille. Je vis qu’ils me ressemblaient. Moi, l’éphémère, le lointain, le non-protocolaire.

Alors, privé d’âge, j’ai ouvert la marche et ils m’ont suivi à pas de tortue, déclinant leur nom sous les grands portiques, chacun à sa manière pour que je m’en souvienne, ou me laissant l’imaginer avec cet air de haute alliance qui leur est propre.

Qui est sans nom n’habite pas le monde, disait un sage. J’inventerai ce qui manque. Je leur grefferai des têtes prodigieuses, des bras nourriciers, des pieds de corne pour l’aventure, leur construirai des murailles de jade, des généalogies de palais. Je ferai résonner leurs voix sur le grand silence. Si le vent le décide, j’y ajouterai la mienne.

À l’instant de partir, j’aimerais être une pierre pour que chaque signe s’incruste à mon front de peur qu’il ne se perde. J’emporterais la genèse sous ma peau, tatouée d’encre et de rosée.

Mais je les laisse aller à leur guise, me reconnaissant dans leur geste millénaire. Rond et rêche. Lâche et courageux. Humble immodeste. Un de ceux, innombrables, de la longue histoire humaine. Tête haute toujours sous le pinceau du calligraphe.

idéogramme rapporté par Victor Ségalen et calligraphie

idéogramme rapporté par Victor Ségalen et calligraphie

Sur la table de Victor Segalen

Sous sa paume passent des caravanes couleur d’aube et de poussière. La piste s’allonge à les imaginer. L’air est pur, et pur le désir de respirer.

Les cailloux se taisent quand il faut de peur de rayer sa solitude. Le temps résonne lent sur les crêtes.

Une chanson s’élève à l’arrière, issue d’une autre vie, lorsque les étoiles sondaient les lacs pour une pièce d’or. L’écho raconte qu’elle disait des choses étranges qu’aucune oreille humaine n’avait entendues. Un oiseau l’emporta. Blanc de nacre, griffures d’encre. Depuis, son ombre creuse des routes dans le bois de sa table.

VICTOR SEGALEN PAR MARILYSE LEROUX

Chaque forme est une sur le grand damier. Différente et familière. On l’apprivoise d’un seul tenant avant de lui donner ses mains. Mouvantes comme l’eau. Ductiles comme la peau.

Toute pierre est une dans le grand jardin. Le sabot qui l’emporte est plus sage que la semelle du voyageur. Il ignore où il la déposera. Les uns imaginent une licorne, les autres une cavale, sans bât ni licol à ralentir la marche.

Ni dessein ni relais, dit le ciel, le hasard est une pierre qui bouge. On peut le déplacer pour une autre.

Sur la mosaïque des terres, chaque songe étire son fil – invisible d’être parcouru. Il existe aventure plus hasardeuse pour comprendre le monde. La mer brassera les lignes, proclame le vent. 

VICTOR SEGALEN PAR MARILYSE LEROUX

Je viens d’un pays

où les sages n’ont plus cours

les tigres ont dévoré leurs ombres

 

Je n’ai plus de maison

excepté celle-ci - la tienne

 

Pourtant

le soleil continue

de s’enrouler à mon cou

la terre de battre son état premier

entre mes côtes

 

Une constance qui nous lie

toi et moi.

VICTOR SEGALEN PAR MARILYSE LEROUX

J’ai voyagé dans une poche

à la taille de sa main

avais-je besoin d’autre chose ?

 

Cette poche était un pays

vieux de quelques siècles

des routes en partaient

dans toutes les directions

je n’ai eu qu’à le suivre

 

Avec lui j’ai exploré

chemins rivières forêts

sables et mers du monde

le mouvement

ne m’a jamais fait défaut

 

Au moment de partir

j’ai entendu sa solitude

entre les rocs

elle dessinait un cercle

où je ne suis pas entré.

 

Texte de Marilyne Leroux

Photographies d’Isabelle Baudelet, La Fabrique poétique, Maison natale de l’Abbé Prévost à Hesdin.

 

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C
Très beau texte,merci.
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