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TEXTURE       Les amis de Michel Baglin

Lien entre les amis du poète et écrivain Michel Baglin

IMPOSSIBLES ADIEUX PAR HAN KANG

IMPOSSIBLES ADIEUX PAR HAN KANG

Han Kang , jeune écrivaine sud- coréenne de 54 ans, a reçu le Prix Nobel de littérature 2024 « Pour la profondeur de sa prose poétique qui s'oppose aux traumatismes  de l'histoire et révèle la fragilité de la vie humaine ».

Ses romans mettent souvent en scène un personnage féminin dont la confrontation avec son entourage ou avec la société révèle la vulnérabilité mais aussi la révolte, comme dans La Végétarienne (2007) et Pars, le vent se lève (2010). Son usage du silence apporte un rythme à ses romans mais établit aussi une connexion entre différents éléments opposés. La tonalité de son œuvre mêlant fréquemment mélancolie et ressentiment est souvent présentée par la critique comme une illustration du concept coréen de han.

Le Han : Han, ou haan, désigne une forme d'émotion, principalement de chagrin ou de ressentiment. Il est tantôt considéré comme un élément essentiel de l'identité coréenne, tantôt comme une construction moderne et post-coloniale. Un aspect du han actuel est la perte d'identité.(sources Wilkipédia)

IMPOSSIBLES ADIEUX PAR HAN KANG

Impossibles adieux

Comme un long cheminement entre réel et imaginaire, entre passé et présent, entre vie et mort, ce nouveau roman de Han Kang nous fait voyager entre la Corée du Sud contemporaine et sa douloureuse histoire.

C’est un devoir de mémoire entrepris par deux femmes confrontées à leurs pertes et à leurs solitudes.
À sa lecture, on a un sentiment étrange, le roman est comme enfoui dans la neige : perte de traces, silence, froid, arbres noirs et dénudés.

Toutes ces images apportent des sensations de désolation, la mort est toujours présente et évoquée de façon fantastique.

« c’était l’histoire d’une femme-neige qui fondait dans le grésil et disparaissait »

« Une neige qui semble tomber sans répit depuis des décennies. »

L’histoire commence par un rêve qui évoque le traumatisme de la guerre.

« La neige tombe, éparse. Le champ où je me trouve s’étend sur une colline hérissée de milliers d’arbres noirs sans cimes ni branches, de troncs nus….l’autre extrémité du champ que je prenais pour une terre est en réalité une mer. Et la marée continue de monter… Suis-je dans un cimetière ? Me demandé-je. »

Dans le rêve, Les arbres morts représentent des soldats, la cruauté de la guerre, l’aveuglement de la haine, les massacres d’innocents, les charniers.

Les deux personnages sont féminins, chacune de ses femmes a un passé douloureux.

L’une cherche à l’oublier, elle vit une rupture. Elle est dans une période de dépression et écrit son testament.

L’autre essaye de faire revivre ce passé en évoquant les récits transmis par ses parents rescapés.

La survie de ces deux femmes dépend de cette recherche et leur amitié va lier le pacte.

« Marcher vers la crête avant qu’il ne soit trop tard…parce que je n’ai plus le temps, parce qu’il n’y a pas d’autres moyens, si je veux continuer ma vie » dit la narratrice.

Ces deux femmes sont à la fois fragiles et volontaires, luttant chacune à sa façon et bravant les éléments avec courage. Elles font face à la douleur, au froid, au découragement. C’est une marche difficile et périlleuse à travers la neige, la neige qui est le troisième personnage du roman.

« Certaines personnes changent de vie par elles-mêmes, celles qui font des choix auxquels les autres ne pensent pas spontanément et qui se battent pour en assurer les conséquences. »

La narratrice est écrivain, elle vit à Séoul :

« j’ai fait ce rêve en 2014, près de deux ans après la parution de mon livre portant sur les massacres commis dans cette ville »

Ces visions d’arbres noirs sous la neige, l’eau à leur pied, va devenir une idée de court métrage qu’elle proposera à son amie photographe et documentaliste, perdue de vue depuis quatre ans et qui réapparaît dans sa vie au hasard d’un accident.

Cette amie habite une maison éloignée de tout dans l’île du Jeju. Elle s’y est installée pour soigner sa mère maintenant décédée et y est restée après sa mort, abandonnant son ancienne vie.

La narratrice doit se rendre dans la maison de son amie hospitalisée pour donner à boire à un perroquet blanc.

Le sens du rêve nous est révélé dans cet endroit mystérieux et inquiétant.

Mais sommes-nous au pays des vivants ou au pays des morts ?

Il y a un récit dans le récit : Le récit de l’évolution de la narratrice dans sa recherche réelle au milieu de la neige et le récit des massacres qui est raconté ( en italique dans le texte) par une personne absente- présente, morte ou vivante qui est l’amie hospitalisée. C’est le projet de court métrage qui va réveiller les souvenirs.

Comme une apparition ( en réalité elle est dans son lit à l’hôpital) , celle-ci se retrouve dans sa maison perdue dans la neige.

Elle raconte le massacre de l’île de Jeju tel qu’il lui a été raconté par sa mère, elle évoque cet événement transmis sous la forme d’une vision.

« Soudain j’ai réalisé, ils étaient là …j’ai marché en me frayant un chemin parmi ces gens vêtus de vent »

Mais revient au réel pour expliquer :

« Ce n’est pas une suite de hasards si trente mille personnes ont été massacrées sur cette île cet hiver-là…il y avait un ordre du gouvernement militaire américain, il fallait empêcher les communistes de gagner du terrain. »

Les personnages cités sont-ils des fantômes évoluant dans une sorte de monde irréel fait de souvenirs enfouis ( dans le silence de la neige) ? Ce récit est-il un rêve éveillé ?

L’ombre de la nuit, la flamme qui a du mal à jaillir et à réchauffer ne seraient-ils que des symboles ? La flamme serait-elle un signe de vie et d’amour ?

À travers les silences, dans une écriture étouffée et cotonneuse, s’élève une poésie sublime :

« la neige semble presque toujours si irréelle. Est-ce à cause de sa lenteur ou de sa beauté, quand les flocons tombent du vide aussi lentement que l’éternité, ce qui est important et ce qui ne l’est pas se distinguent soudain parfaitement. »

La mort est-elle dans la douceur de la neige ? Dans cet oiseau qui meurt de soif mais ressuscite mystérieusement ? Cette bougie que rien ne peut éteindre ?

« Ma mère disait qu’il faisait plus doux dans la neige… »

Impossibles adieux, ce sont des adieux à une période heureuse, celle d’ avant la guerre, celle d’après la guerre, celle de l’enfance… Et moins heureuse : celle de l’âge adulte et de ses renoncements, celle des rescapés traumatisés, celle des traces de la guerre…

Oui, il est impossible de dire adieu aux souvenirs qui perdurent au-delà de la vie et s’enfoncent dans le silence de la neige.

« Dans la neige, j’attends… »

        Annie Christau

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