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TEXTURE       Les amis de Michel Baglin

Lien entre les amis du poète et écrivain Michel Baglin

HOMMAGE À JEAN-LUC MAXENCE

HOMMAGE À JEAN-LUC MAXENCE

                          Mon premier ami poète 

Ainsi mon premier ami poète, Jean-Luc Maxence, est mort ce 5 décembre 2024. J'avais 20 ans quand je l'ai rencontré la première fois à Paris. C'était l'époque où je portais ma révolte en étendard. L'époque de l'amitié et des copains d'abord. L'époque de Dame Liberté très vite séquestrée ensuite. L'époque de Marie, ma belle rebelle qui m'accompagna quelques jours. 20 ans ! et Jean-Luc n'en avait guère plus. 

J'étais alors surveillant d'internat au collège Le Thabor à Montgeron. Pour peu de temps encore car j'allais partir en claquant la porte. Mais les élèves que je "pionnais" s'étaient cotisés pour m'acheter ma première guitare - permettant ainsi la rencontre de Marie à Montmartre. Et puis ces mêmes élèves, qui savaient que j'écrivais, m'avaient conseillé de montrer mes "poèmes" à « Monsieur Maurice Bourg », poète et professeur qui enseignait dans l'établissement et avait fondé une très belle revue "La Sape". C'est avec beaucoup de générosité et de gentillesse - j'aime particulièrement ce mot, n'en déplaise aux cyniques - qu'il lut mes textes et m'accueillit. Il me prêta ensuite quelques recueils et me conseilla à un certain Jean-Luc Maxence que je ne connaissais pas alors (mais je me dois d'avouer que je ne connaissais quasiment rien au monde de la poésie contemporaine). J'étais encore en culottes courtes et en sabots.

Le gamin osa donc envoyer "poèmes" et même brouillons (tous de vrais manuscrits) au poète et futur éditeur qui dirigeait aussi une belle revue : Présence et regards. La réponse ne se fit pas attendre. Enthousiaste en dépit des maladresses de Galibot, le "héros" de mes récits autobiographiques. Je la revois encore, écrite au stylo bleu, lettre que j'ai traînée longtemps sur moi, pliée, dépliée, repliée, et qui doit être quelque part dans mon bordel indescriptible. Je n'ai bien sûr pas pu en faire une photocopie puisque les écritures bleues s'effaçaient alors, et parfois complètement, dans les photocopies en noir et blanc.

En peu de mots, Jean-Luc me disait tout le bien qu'il pensait déjà de mes petits essais et il m'invitait à aller le voir pour un repas au 6e étage du 76, avenue d’Italie un samedi soir. Et j'y allai donc une ou deux semaines plus tard pour une rencontre que je n'oublierai jamais. Une rencontre fraternelle ! Il m'apprit beaucoup déjà sur la poésie contemporaine et ce sans aucune condescendance (ce n'était pas son genre). Il y avait chez lui une espèce de joie et d'enthousiasme de gamin que j'aimais particulièrement. Aucun temps mort, et déjà il me parlait de projets de publication. De quelques poèmes d'abord dans sa revue "Présence et regards". Puis d'un recueil qu'il me fallait mettre au point très vite car il pourrait paraître vers la fin de l'année. Et à compte d'éditeur !

Lors des échanges sur mes "poèmes", je fus très surpris car un texte que je prenais pour un brouillon et que je devais, selon moi, beaucoup travailler, lui avait particulièrement plu. C'était "Murmure" qui ne parut finalement qu'en 1984 chez Rougerie, mais il avait paru aussi dans "Présence et regards" dès 1974 ou 1975. Il m'interdit d'y faire la moindre correction !

Nous nous sommes peut-être revus une fois chez lui avant mon retour chez maman à Rennes. Mais je me souviens surtout que je suis allé le retrouver en juin 1974 le jour même où je devais normalement repasser les épreuves du bac en candidat libre après mon échec de 1973. Je partis donc de Rennes la veille des épreuves vers 20 h avec... mon 103 Peugeot vers Paris et l'avenue d'Italie. Je dois être le seul jeune poète à être allé le voir ainsi ! J'arrivai à 4 h le matin et n'osai bien sûr sonner. J'attendis donc en écumant les quelques cafés du coin qui pouvaient être ouverts et en déambulant dans le quartier. Je revins pour 8 h au 76, avenue d’Italie mais mon grand éditeur n'y était plus... J'en profitai alors pour tenter une visite chez un autre ami à Fresnes mais je dus faire une erreur de parcours car je me retrouvai, toujours avec mon 103 Peugeot, sur le périphérique, doublé et klaxonné par des véhicules roulant furieusement à 90... et plus ! Je réussis à me sauver d'une mort certaine en rejoignant la séparation centrale où je stationnai, attendant une intervention miraculeuse pour stopper ces fous. Et ce furent deux bleus qui sauvèrent le petit anar. Ils arrêtèrent la circulation - rien que pour moi ! -, vérifièrent mes papiers... "Ah ben celui-là c'est un Breton !!! Bon, vous prenez la première sortie à droite et qu'on ne vous y reprenne plus !" Je ne poussai pas l'expédition plus loin. Je retournai chez Jean-Luc le midi et il m'invita à déjeuner avec une amie et son fils. Après ma nuit blanche sur ma mobylette je m'endormis piteusement à table. Je ne le retrouvai que le soir et je repartis très vite sur ma mobylette bien sûr. 

Jean-Luc et Guy en 2003...

Jean-Luc et Guy en 2003...

Le recueil promis parut peu avant Noël. Je reçus les quatre premiers exemplaires de La Tête des songes « chez moi » dans ma petite chambre sise dans une ferme de Saint-Jacques-de-la-Lande. J'étais malade et ce fut comme un rêve dans mon état semi comateux. Je retournai à Paris après les vacances de Noël en auto-stop cette fois. Je me fis arrêter par les flics pour contrôle d'identité. Et alors que deux autres agents avaient quasiment sauvé la vie du petit anar, l'un d'eux, surpris et émerveillé qu'"un jeune à cheveux longs" écrive des poèmes, m'acheta un premier exemplaire du recueil.

Ledit recueil avait été bien accueilli. Un article dans "Monde et vie" d'un certain Maxence Jean-Luc, une citation très élogieuse en première page du "Quotidien de Paris" par Gilles Pudlowski et même un article dans "La Gueule Ouverte", l'un des premiers journaux écologistes fondé par Pierre Fournier et des membres de l'équipe de "Charlie hebdo" et de "Hara Kiri". C'était assurément un bon lancement même si le petit provincial en sabot évitait le beau monde parisien, les signatures et ne faisait guère de pub. 

Et le succès fut si flamboyant qu'il y eut même une seconde édition dont s'étonnèrent quand même certains. "Ah quel succès ! une deuxième édition pour un premier recueil et à compte d'éditeur !" s'exclama dans un courrier un autre jeune poète qui m'avait abordé. Connaissant mon éditeur je peux penser qu'il dissimula une partie de l'histoire pour favoriser la légende qu'il avait commencé à construire autour du petit bohème.

En fait, comme je l'ai signalé déjà, le recueil avait paru quelques jours avant Noël et la plupart des cartons de livres avaient pris place chez l'éditeur tout près du sapin de Noël. Alexis, le fils de Jean-Luc était là. Il voulut allumer une "fusée" dans le sapin. Il alluma en fait le sapin qui alluma à son tour les livres du très très très grand poète (1,63 m à l'époque !), les livres allumèrent l'appartement qui alluma la ville de Paris. Oui, c'était quasiment comme chez Eluard. La première édition a donc flambé, oui ! Quelques recueils ont été sauvés et gardent des traces de fumée.

C'étaient là mes premiers pas avec mon ami poète et éditeur Jean-Luc. Bien d'autres pas et projets suivirent par la suite. Une amitié fidèle des deux côtés, une amitié qui a duré 50 ans et dont seule la mort de l'un a pu arrêter le vol. Et je pleure, depuis un mois, ce poète gavroche à la plume d'une franchise si émouvante et cet éditeur fraternel et découvreur de vrais talents (bien sûr je ne parle pas de moi... mais d'un Jean-Louis Giovannoni pour prendre un seul exemple). Un éditeur qui m'a tant appris et tant donné.

                  Guy Allix

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