Lien entre les amis du poète et écrivain Michel Baglin
24 Janvier 2024
« Contente-toi de semer tes mots »
On sait que Jean-Pierre Boulic est enraciné dans son pays des Abers et qu’il moissonne au quotidien des moments précieux dont il sait nous restituer de recueil en recueil la quintessence. « Contente-toi de semer tes mots » s’encourage-t-il. Mais parfois les mots ne se décident pas à prendre leur envol comme dans le poème de Prévert : « Tu as la douleur / De ne plus savoir écrire / Le mot qui convient. » C’est que l’on est dans la morte-saison et que « le ciel a petite mine ». Alors , soyons à l’écoute du silence et l’ange finira par s’approcher.
Ce nouveau recueil, Enraciné, a été porté durant six années par un sourcier de l’âme attentif à l’intime de soi, qu’il nous restitue en une véritable Cantate, au cours de laquelle mois et saisons vont défiler au long de quatre séquences soigneusement scandées : Veille, vécue dans l’attente du gel de décembre, Matin parmi les pommiers du printemps, Fêtes dans la nuit légère de l’été à venir et Hymne qui, au cœur d’un automne triomphant « Laisse percer la clarté / Nouvelle genèse / Commencement du commencement / Horizon de la création. »
Au fil des jours et des saisons, Jean-Pierre Boulic est attentif au moindre signal de vie du monde qui l’entoure : celui du soleil qui ouvre l'oeil dans un lit de brumes, celui de la pierre ancrée au sol, celui d’une barque posée sur l'océan car le ciel, la terre et la mer sont les éléments cardinaux de sa conscience d’exister. Ils sont la voie d’accès à la création poétique dont les mots - et parfois trois vers suffisent s’ils sont lestés de leur juste poids d’émotion - sauront ressusciter l’ineffable.
L’appel du rouge gorge ou le trille de la grive au bord du chemin peuvent y suffire. Ou bien le vent qui, « Allant de gingois / Trébuche sur le dos des falaises ». Dire l’essentiel en peu de mots, dans la proximité littéraire d’un Guillevic auquel on songe forcément, est bien une démarche d’ascèse susceptible de parvenir au « bleu silence de la beauté ».
Sa mélodie intérieure, Jean-Pierre Boulic la joue dans tous les registres, à commencer par celui de la méditation : « Tu demeures là / Dans ce bivouac / De vieilles pensées. » Car la méditation face à la stupeur d’exister est génératrice de riches métaphores qui sont l’étincelle de toute poésie.
Et le poète toujours attentif aux rumeurs du monde est celui qui, l’ayant conservée de l’enfance, sait restituer sa faculté d’émerveillement :
« Merveille d’être créé
Et sans cesse de le dire
Dans l’allée
Les pommiers respirent
D’être émerveillés
Les mille silences
D’une invisible présence
La lumière encercle les pins
D’une mantille de fraîcheur. »
Ainsi, dans le décor toujours le même et toujours renouvelé de l’estran que le vent fouette et du rocher qu’habille la houle, Jean-Pierre Boulic nous donne à partager son chant du monde qui oscille entre l’apprentissage du silence, le souffle des sèves et le partage de la lumière.
Jacques Ibanès
Enraciné, 80 p., 14€ La part commune
« Fin d’après-midi
Soleil entrebâillé
La marée est passée
La terre a ramassé l’embrun
Un goéland s’installe
Sur la roche
D’un regard perché
Il prend le vent
Qui lui froisse le plumage.
Ton âme s’interroge
Prise dans ses fils
Sur ce que le jour t’a vu faire
Si tes mains se sont employées
Au geste de tendresse
Qui pouvait éclairer quelqu’un
Afin qu’il ne se perde
En chemin. »