Lien entre les amis du poète et écrivain Michel Baglin
12 Mars 2022
Avant Le Miroir amnésique, les « mémoires » de Roland Nadaus débutent peut-être avec la parution d’Un cadastre d’enfance et quelques-unes de ses parcelles (éditions Henry). Un livre de poèmes consacré à son enfance, qui a paru en 2012. La famille du poète vit avec quatre autres familles dans une baraque, faite de parpaings, de carreaux de plâtre et de tôle : « Ô mon enfance à petit bras – quand l’eau chaude au robinet – n’existait pas .» S’agit-il d’un chantier ou d’un bidonville ? Peut-importe : « ô Môman quel blues d’être né. » À la misère et au dénuement, s’ajoutent les coups du père (rouquin au vin pas doux du tout) sur la mère : « ça se battait à la maison – ça hurlait jusque dans mes rêves. » Enfance ? Autant dire plaie, blessure, de celle dont on ne peut pas cicatriser : « je suis devenu vieux très jeune. » Et on le comprend très vite, des premières pages, qui ouvrent ce livre et plantent rapidement le décor (« on mourait de froid dans les rues – mais parfois aussi sous les tôles »), aux dernières : « Ton enfance te poursuit – et c’est d’elle que tu mourras – le cœur transpercé par ta naissance. » Un témoignage poignant, sans cesse retardé, mais que le poète a bien dû se résigner à livrer, sous le regard apeuré – « du gamin qu’en moi j’ai dû – étrangler »– pour survivre.
Après ces « mémoires d’enfance », en poésie, Nadaus fait paraître, en prose cette fois, ses « mémoires » d’adulte. C’est vite dit. Car, le fil ressemble davantage à un archipel d’expériences et de chemins de vie, qu’au fil continue et déroulé dans l’ordre chronologique, d’une vie. Pour rester dans les parages d’un grand poète qu’il revendique comme un phare (Philippe Soupault), Nadaus ne donne pas ici ses Mémoires de l’oubli, mais plutôt ses Profils perdus. Combien d’hommes y-a-t-il en Roland Nadaus ? Deux, si l’on en croit certains, personnels politiques et poètes, qui ne retiennent que l’homme qui les intéresse, pour souvent dénigrer « l’autre ». Nadaus homme politique ou Nadaus poète ? Ces deux « hommes » n’ont jamais fait qu’un. Le citoyen Nadaus, socialiste, de classe, de cœur et de raison, enseignant (professeur d’Histoire jusqu’en 1988) a été un élu important, par ses mandats et son action (Maire de Guyancourt, de 1983 à 2001 ; Président du Syndicat d’Agglomération Nouvelle de St-Quentin-en-Yvelines ; Conseiller Général des Yvelines…), et ce jusqu’en 2008, tout en élaborant une œuvre qui totalise soixante livres, de la poésie pour l’essentiel, mais aussi des pamphlets, des chansons, des contes, des romans, des essais… Il y a les registres de Nadaus, lyrique ou épique. Le style, ciselé ou tonitruant. Le ton, intimiste ou volcanique, provocant ou cru. Et toujours cet humour, tantôt noir, tantôt vache, tantôt jovial…
Poète, élu et homme d’action, Roland Nadaus rejoint en cela, comme je l’ai déjà écrit, Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor ou Ernesto Cardenal. Du premier, Nadaus reprend et incarne une célèbre citation : « Bâtir un poème et bâtir une ville, c’est un peu la même chose. » Avec les deux suivants, il a en partage le socialisme et la foi chrétienne : « Une conversion à la fois longue et brutale après 40 ans d’absence. » Le poète qu’il n’a jamais cessé d’être, à l’instar de ses aînés, s’est doublé d’un élu politique et d’un bâtisseur de ville : « J’ai eu le bonheur, qui est assez rare quand même, de construire une ville. Parce que, lorsque je suis arrivé à Guyancourt, c’était un petit village de 1.000 habitants… et on a bâti une ville complète, en une génération. C’est quand même quelque chose d’extraordinaire, épuisant, que je paye de ma santé aujourd’hui, mais qui n’est pas donné à tout le monde. »
Nadaus est un poète d’action, qui ne se s’est jamais résigné et n’a jamais été passif. Le Miroir amnésique puise dans sa mémoire et sa vie fertiles. Soit vingt-huit entrées, chapitres ou chroniques, parfaitement indépendants les unes des autres, mais bien sûr complémentaires, pour dire, un homme poétique, de foi, de politique, de rencontres, de vie, de doutes, d’écritures et de luttes. François Mitterrand et Michel Rocard « entrecroisent » La Tour de Feu du poète-tonnelier Pierre Boujut ou les poètes Pierre Chabert, Moreau du Mans ou Philippe Soupault ; le tout dominé par l’aîné et référence suprême : Saint-Pol-Roux le Magnifique ! Mai 68 se heurte à l’Église, l’enthousiasme se confronte à la déception des hommes, mais pas tous, (en poésie comme en politique), le bocage de la Mayenne d’adoption déborde du béton de la ville nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines : C’est mon île. L’archipel de mes yeux… Simone, bien sûr, car c’est bien l’amour qui est le moteur du poète. En vérité, écrit Nadaus « j’ai beaucoup écrit, mais pas volontairement. Car j’ai été confiné en moi-même. Et même parfois confit dans une antique mémoire brutalement remise à jour… »
Christophe Dauphin
Roland NADAUS : Le Miroir amnésique, 130 pages, 12 € (collection La poésie, comme elle va, éditions Henry, 2020).