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TEXTURE       Les amis de Michel Baglin

Lien entre les amis du poète et écrivain Michel Baglin

PRÉSENCE DE SAINT-POL-ROUX

PRÉSENCE DE SAINT-POL-ROUX

L’océan remue dans mon verre du bout du monde. Je suis le seul être humain à hanter la tempête et la grisaille des lieux, à me rendre à la grand-messe des éléments. C’est une énergie qui avance avec un appétit de houle, une force de vagues délirantes prêtes à se transformer en cimetière. Jamais, l’océan ne s’excuse, il sait ne pas avoir de cœur. Infatigable, écumante et bavante mer d’Iroise sous le moutonnement des tourments.

Les yeux clos, j’écoute se jouer l’opéra des flots et lutte contre mes crampes qui me toisent, faisant de moi un naufragé. La pluie essore l’horizon et cingle les rêves, il n’y a de voyage que pour les îles. Ici, en cette fin de terre, je lis le monde à la méthode braille.

En moi, vit quelqu’un de connu, je le tutoie. Sur l’herbe rase, souffle un vent fort et prémonitoire. Sur la mer et le sable, il écrit des vers, prie et universalise ses sentiments, sa voix de poète est aussi douce que le frisson de l’orgue sur la lande. Je n’ai pas encore sombré. Aspiré par les rhapsodies de Rocamadour, je suis la cible, la convergence, le muscle bandé, le coquillage, le démon des cieux et de la terre, l’apothéose des légendes et du mystère.

Ici, orgie d’océan et de vent, jungle de pluie et de néant, furie de la contemplation et du rêve, il est Monsieur Saint- Pol-Roux, poète magnifique, semeur d’anges et moissonneur d’âmes.

Dos courbé, j’affronte péniblement ce coup de torchon face au Boultous rossignolant. C’est là que l’amour devait être son château mais la bêtise des hommes l’a capé des jours les plus noirs.

Mort au front pendant la Grande Guerre, son fils Coecilian a donné son nom à ce manoir de quatre tourelles délabrées, vestiges du passé où l’éternité s’assoit dans un fauteuil de pierre. Étonné, j’exalte la splendeur, exhale un parfum d’embruns et veille sur la Bretagne univers.

Je me dérobe à ce pêle-mêle d’alignements de Lagatjar et cravache vers Camaret. Le cimetière domine la ville et la mer. Je cherche le poète, il est là.

Une grande croix signe la plaque tombale de marbre gris, des fleurs artificielles ou fanées en font le tour.

Sur un côté, en lettres dorées, je lis :

À ma fille Divine

l’ange de ma solitude”

Saint Pol Roux

 

Je vide mon verre et l’emplis d’un soleil passager.

Saint-Pol-Roux

Saint-Pol-Roux

Ici, tout a un air de démon,

les dents des falaises

mordent la rudesse

de la pointe de Pen Hir,

tout grignote la fin

des choses de la terre

sans toit ni mur

ni frontière posée

sur la chaise longue

des cieux souverains.

Sur Grand et petit Dahouët,

Penn-Glaz, Chelott, Bern-id et Ar Forc’h

cadenassés de pierres,

Tas de Pois taillés en pointe,

sur le jardin de l’horizon

rien ne se lit ni se dit.

Mendiant de la liberté,

je flotte corps-mort

dans l’univers du ciel

comme la mouette tremblante

se penche sur mon âme et raconte

les visites de Max Jacob,

Victor Segalen, d’autres encore

au manoir du Boultous

baigné de sang et l’œuvre

du poète le Magnifique

brûlée un jour de folie.

Oiseau des mers je te parle

de ces tourelles en ruine

même les musiques

de la houle de l’Iroise

soupirent face au péril.

Ici, veillent et s’ennuient

le tout et le rien,

finissent le rien et le tout

qui me rendent sensible à l’homme,

en ce bout de terre

le vent migrateur dicte sa loi.

 

Jean-Albert Guénégan (poème inédit)

PRÉSENCE DE SAINT-POL-ROUX
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